Bruce tout puissant
Au programme, cette semaine : le combat des chefs entre Trump et Springsteen, des marionnettes sauvées, une télé-réalité avec des migrants et enfin, un peu de Joy pour finir. Côte à côte, épisode 14
Le Boss contre le Commander in Chief
La vidéo est un peu mesquine. Surtout quand elle est relayée par le compte du Président des États-Unis d’Amérique. On y voit Donald Trump jouer au golf et faire chuter, grâce à un montage grossier, par la seule la force de sa frappe, Bruce Springsteen qui monte sur scène. Publiée sur son réseau social Truth cette semaine, elle est la preuve que Donald Trump, même réinstallé au pouvoir, continue d’avoir la dent dure contre ceux qui se sont opposés à lui. Fussent-ils parmi les musiciens les plus populaires du pays.
L’homme d’affaires s’est aussi défoulé dans des messages comme lui seul en a le secret et où il décrit Bruce Springsteen comme suit :
« Je vois que le très surcôté Bruce Springsteen est allé à l'étranger pour critiquer le Président des États-Unis. Je ne l'ai jamais aimé, je n'ai jamais aimé sa musique ou ses idées politiques radicales de gauche, il n’est pas talentueux. Juste un odieux con qui a soutenu avec ferveur Joe Biden l'escroc. Ce pruneau desséché de rockeur devrait la fermer jusqu'à son retour sur le territoire. Après, on verra comment ça se passera pour lui. »
Et Donald Trump est passé des menaces à l’action. Il a demandé à ce qu’une enquête soit menée contre Bruce Springsteen et contre la campagne Harris. Ce qu’il reproche aux Démocrates ? D’avoir payé le chanteur pour participer à un meeting près d’Atlanta, juste avant l’élection. Je me trouvais ce soir-là dans l’espace presse, Bruce Springsteen a joué trois morceaux emblématiques de son répertoire : The Promised Land, Land of Hope and Dreams et Dancing in the Dark, avec un petit discours très court et vif :
« Je veux un Président qui respecte la Constitution et qui ne va pas menacer mais protéger notre démocratie. »
Bruce Springsteen et Kamala Harris dans l’illégalité ?
Donald Trump semble mauvais gagnant sur ce coup-là, lui qui n’a jamais eu que des stars de seconde zone à ses rassemblements et qui rêve de se faire accepter par l’intelligentsia et le showbiz :
« Combien Kamala Harris a-t-elle payé Bruce Springsteen pour sa piètre prestation pendant la campagne présidentielle ? Pourquoi a-t-il accepté cet argent s’il est autant fan d’elle que ça ? N’est-ce pas là une une immense contribution illégale ? Je vais lancer une grande enquête. Les candidats n’ont pas le droit de payer pour obtenir des soutiens, ce que Kamala Harris a fait, sous le faux prétexte de divertir le public. »
Dans le viseur du Président également, Beyoncé, Oprah Winfrey ou encore Bono qui ont, eux aussi, participé à des rassemblements en faveur de la candidate démocrate. Mais est-ce vraiment illégal ? Poser la question quand il s’agit de Donald Trump, c’est déjà un peu y répondre.
Vexé par un enregistrement live
Concrètement, ces stars ne sont pas payées pour leur soutien. Selon la Federal Election Commission (FEC, la Commission Électorale Fédérale), « les candidats peuvent rémunérer des soutiens à condition que ces paiements soient inscrits comme dépenses de campagne. » La campagne Harris nie avoir payé des artistes, expliquant que tout l’argent donné à Oprah Winfrey (1 million de dollars), Beyoncé (165 000 dollars) ou d’autres sont des dépenses qui servaient à la production des meetings et que cela a été fait selon les règles.
« D’ordinaire, je suis réticente à répondre aux rumeurs, mais ces temps-ci, je me rends compte que si l’on n’arrête pas un mensonge, il prend de l’ampleur. Je n’ai pas touché un centime, » a déclaré Oprah Winfrey. « Mon temps et mon énergie étaient ma manière de soutenir la campagne. Pour l’événement diffusé en direct en septembre, ma société de production Harpo a été sollicitée pour fournir la scénographie, les lumières, les caméras, l’équipe technique, les producteurs et tout le matériel nécessaire (y compris les bancs et les chaises) afin d’assurer la production en direct. Je n’ai perçu aucun cachet personnel. Cependant, les personnes qui ont travaillé sur cette production devaient être rémunérées. Et elles l’ont été. Point final. »

Ce qui a déclenché l’ire du maître de la Maison Blanche et sa volonté de poursuivre les stars démocrates, outre des opinions qui ne lui vont pas, c’est un autre petit discours du « Boss » sur la scène de Manchester, lors de la première de sa tournée :
« Ce soir, l’invincible E Street Band est ici pour invoquer la puissance juste de l’art, de la musique et du rock’n’roll en ces temps dangereux. Chez moi, cette Amérique que j’aime, cette Amérique qui m’a inspiré et qui a été un guide vers l’espoir et la liberté pendant 250 ans se trouve actuellement entre les mains d’une administration corrompue, incompétente et coupable de traîtrise. Ce soir, nous demandons à tous ceux qui croient en la démocratie et au meilleur de notre pays de se lever avec nous, de faire entendre leur voix contre l’autoritarisme et pour que la liberté triomphe ! »
Avant de cibler directement Donald Trump :
« Un président inapte et un gouvernement voyou » qui n’ont « aucune idée ni aucune empathie pour ce qu’est être réellement Américain. »
Le lendemain, toujours depuis la scène de Manchester, il a continué, pour répondre directement aux messages atrabilaires de Donald Trump. Car ce qui a particulièrement irrité le président états-unien, c’est surtout le fait que ces déclarations ont été intégrées au dernier album du « Boss ». The Land of Hope and Dreams, un EP enregistré le 14 mai au Co-op Live et qui contient donc des chansons et des discours très politiques sur la 1e (Land of Hope and Dreams (Introduction)) et la 5e piste (My City of Ruins (Introduction)).
Bruce Springsteen est l’un des chanteurs les plus engagés aux États-Unis. Dès les années 1980, alors que Ronald Reagan, au pouvoir, vante le message d’espoir porté par les tubes du rocker, Bruce Springsteen lui répond sèchement qu’il n’a probablement jamais écouté les paroles qui évoquent tous ceux qui ont été laissés pour compte par l’économie reaganienne justement.
Un tube à contresens
Bruce Springsteen s’est aussi particulièrement opposé à George W. Bush, notamment en critiquant la guerre en Irak et la gestion catastrophique de l’ouragan Katrina, qu’il a désignées comme des raisons pour lesquelles, selon lui, « les citoyens ordinaires ont perdu foi dans le rêve américain ». Il a aussi consacré l’album Magic (2007) à une réflexion sur l’Amérique sous Bush, abordant dans ses textes les dérives du pouvoir et les menaces sur la démocratie, tout en assumant le risque d’être perçu comme antipatriotique pour avoir pris position.
Mais son engagement n’a jamais été aussi fort que depuis l’entrée dans l’arène politique de Donald Trump. Dès 2016, il le traite de « voyou », « imbécile ». Il a multiplié les appels au vote contre lui et les participations aux meetings de ses adversaires, Hillary Clinton, Joe Biden et Kamala Harris.

Il s’est aussi régulièrement battu contre l’utilisation par les Républicains de son tube « Born in the USA », pris à tort pour un hymne patriotique. Il est tout l’inverse : c’est une critique amère de la société américaine et de la guerre du Vietnam. Bruce Springsteen y raconte l’histoire d’un Américain des classes populaires, envoyé à la guerre contre son gré, puis rejeté et abandonné par son pays à son retour. Le morceau dénonce le sort des vétérans, confrontés à la misère, au chômage, à la marginalisation et à l’indifférence du gouvernement. Les paroles, bien plus sombres que la musique et le refrain entêtant, dressent le portrait d’une Amérique désabusée, loin de toute glorification nationaliste.
Deux visages d’une même Amérique
Et pourtant, chaque candidat républicain a essayé de l’utiliser dans ses meetings, depuis les années 1980. L’artiste n’a pas engagé de poursuites judiciaires, mais il a obtenu que l’exploitation de la chanson cesse, notamment en refusant explicitement toute autorisation.
En 2025, Bruce Springsteen reste, malgré tout, l’une des personnalités les plus appréciées aux États-Unis. Malgré ses prises de position politiques, il conserve, à 75 ans, une immense popularité, y compris auprès de l’Amérique blanche des classes moyennes et populaires, qui continue de s’identifier à ses chansons et à son parcours. Sa capacité à incarner l’Amérique des travailleurs, celle des « sans-grades » lui offre une place à part. Peut-être pas une bonne idée pour Donald Trump de s’attaquer à une telle icône. À moins qu’il ne soit jaloux, les deux septuagénaires touchant le cœur d’une même Amérique. Mais pas avec les mêmes arguments.
Côté court
Sesame Street, nouvelle adresse
Nous vous parlions la semaine dernière des grandes menaces, principalement financières, qui pesaient sur l’émission jeunesse culte des petits Américains, Sesame Street : fin du partenariat avec HBO, fin des aides venues de l’agence de développement USAID et surtout, fin des subventions fédérales allouées à son diffuseur historique, la chaîne publique PBS.
Sans surprise, cette semaine, les marionnettes superstars ont trouvé un nouvel hébergeur et c’est Netflix qui jouera les hôtes et les sauveurs du programme pédagogique. L’information a été annoncée par la boîte de production elle-même, Sesame Workshop :
« Nous sommes très heureux d’annoncer que les nouveaux épisodes de Sesame Street seront diffusés sur Netflix dans le monde entier et sur PBS Kids aux États-Unis. Le soutien de Netflix, de PBS et des autorités de l’audiovisuel public constitue un partenariat inédit public-privé qui permettra encore et toujours aux enfants du monde entier de grandir en devenant plus intelligents, plus forts, plus gentils. »
Netflix, dont les programmes jeunesse et famille représentent 15% du visionnage total, réalise donc un gros coup et diffusera la saison 56 et les suivantes de Sesame Street. Toutefois, la plateforme mettra sa patte sur l’émission et annonce déjà un nouveau découpage à l’intérieur de chaque épisode. En tout cas, tout est bien qui se poursuit bien pour Elmo, Cookie Monster et les autres.
Pas de côté
12 migrants en lutte pour des papiers et à la fin, il n’en restera qu’un
Le projet existe. Il a germé dans la tête d’un producteur expérimenté et très sérieux quant à son développement. Rob Worsoff, lui-même Canadien ayant émigré aux États-Unis, porte depuis une douzaine d’années une idée d’émission complètement folle : des immigrés qui se battraient pour obtenir un titre de citoyenneté sur le sol américain. De façon très naïve ou au contraire très cynique, lui ne voit là-dedans qu’une « déclaration d’amour à l’Amérique ».
Pour comprendre qui est ce producteur, il faut savoir que la télévision américaine lui doit déjà quelques perles de haute volée intellectuelle :
The Millionaire Matchmaker : un docu-réalité qui suit le quotidien d’une agence matrimoniale spécialisée dans les clients très riches et qui a connu 7 saisons entre 2008 et 2015
Duck Dynasty : une autre télé-réalité qui suit les aventures rurales de la famille redneck les Robertson et de sa juteuse affaire, spécialisée dans la chasse aux canards. C’est pointu mais ça a duré quand même 11 saisons
The Biggest Loser : une compétition (un temps diffusé sur l’une des plus grandes chaînes nationales, NBC) entre personnes obèses ou en surpoids. Celui qui perd le plus de kilos remporte une gros chèque. Simple, basique.
Dans son document de travail de 35 pages, voici ce qui est écrit à propos de sa dernière trouvaille :
« Les candidats représenteront un vaste groupe démographique en matière d’âge, d’origines et de talents. Nous les suivrons entre rires et larmes, frustration et bonheur, nous découvrirons leur histoire. À travers le regard de 12 personnes incroyables qui veulent plus que tout avoir ce que nous avons, ce sera une formidable manière de rappeler à tous à quel point c’est fantastique d’être américain et d’avoir tout ce que nous prenons souvent pour acquis : la liberté, les opportunités et l’honneur d’être un citoyen de ce pays. »
« Mettre un dossier sur le haut de la pile »
Chaque épisode comporterait un défi sur l’héritage, une épreuve éliminatoire, une réunion publique et à la fin, un vote d’habitants, comme pour une élection. Les « heritage challenges » seraient réalisés en fonction des spécialités locales : confectionner une pizza à New York, chercher de l’or à San Francisco, fabriquer une fusée en Floride… Pour montrer comme « c’est chouette l’Amérique ».
Titre provisoire : The American, tout simplement. Il s’agirait en fait du nom du train à bord duquel prendraient place les 12 candidats et qui les emmènerait à travers le pays passer les épreuves. Et n’allez pas lui dire que c’est de la télé poubelle ou qu’il va jouer avec le destin de personnes fragiles et en détresse. Lui possède une vision très lyrique du programme :
« Ce ne sont que des gens qui sont susceptibles de devenir américains à l’avenir. Ils sont déjà tous lancés dans le processus, ce sont de bons candidats. Je ne cherche pas à rabaisser qui que ce soit. J’offre simplement à quelqu’un l’opportunité de mettre son dossier sur le haut de la pile, et personne d’autre n’en pâtit. Tous les autres candidats seront humanisés : nous apprendrons à connaître leur visage et leur histoire, nous les apprécierons, et peut-être qu’ils décrocheront un emploi ou d’autres opportunités grâce à cela (…) Je ne vais pas m’excuser de créer de vrais enjeux dans une émission de télé-réalité. (…) Je veux mettre un visage sur l’immigration. Et célébrer l’Amérique. »
Un grand final sur les marches du Congrès à Washington
Une idée qu’il essaie de vendre depuis l’administration Obama. Jusque là sans succès. Mais c’était sans compter sur la nouvelle équipe au pouvoir, sa passion pour la télé et son obsession pour les questions d’immigration. Rob Worsoff déclare avoir eu déjà trois entretiens avec le DHS, le Département de Homeland Security (l’équivalent du Ministère de l’Intérieur) : « Nous sommes allés loin dans les discussions (…) Je ne sais pas où ils en sont de leurs réflexions mais j’ai le sentiment que ça va dans le bon sens ».
Le but de l’émission, c’est donc d’offrir au grand vainqueur la citoyenneté américaine avec, lors du dernier épisode, une grande cérémonie de naturalisation, dans la capitale, à Washington, sur les marches du Capitole. Tout un symbole.
L’information a été révélée par le Wall Street Journal et confirmée dans la foulée par plusieurs autres médias : le DHS serait bien en train d’étudier le sujet le plus sérieusement du monde. Tricia McLaughlin, porte-parole du ministère, l’a expliqué à plusieurs journalistes on the record :
« Nous devons remagnifier le concept de patriotisme et les devoirs du citoyen dans ce pays. Et pour cela, nous sommes ravis d’étudier des projets qui sortent des sentiers battus. Toutefois, l’émission en question n’en est qu’au tout début du processus et n’a reçu jusqu’à présent ni autorisation ni refus par nos équipes (…) Mais je crois que c’est une bonne idée. »
Le DHS a l’habitude de gérer des demandes de tournage. En effet, il reçoit des « centaines de projets d’émissions de télévision chaque année », selon cette même porte-parole. Essentiellement des documentaires qui souhaitent suivre le quotidien de la police aux frontières ou des agents de l’immigration sur le terrain ou encore le travail des enquêteurs du HSI, une antenne de ce ministère qui travaille sur tout ce qui menace la sécurité nationale comme le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes, le trafic de drogues, les contrefaçons… Chaque proposition est étudiée et validée ou non.
Avec le soutien de la ministre qui tue des chiens
Et d’après plusieurs sources, la patronne du ministère elle-même, Kristi Noem serait très favorable à la réalisation de ce projet. Kristi Noem, c’est un sacré personnage de l’administration Trump. Issue de l’ultraconservateur Tea Party, Kristi Noem est d’abord élue comme Représentante du Dakota du Sud entre 2011 et 2019 puis devient la première femme gouverneure de cet état en 2019. Elle se fait remarquer par une gestion du Covid19 très ouverte, aucune restriction, le South Dakota est d’ailleurs l’un des états avec la plus forte mortalité pendant la pandémie. Elle incarne la ligne dure des Républicains sur les questions sociétales, fiscales et migratoires (tiens donc).
Elle est aussi connue pour avoir fait beaucoup de chirurgie esthétique et s’être fait ce qu’on appelle désormais une Mar-a-Lago face (teint très hâlé, pommettes rehaussées, lèvres volumineuses, peau lissée, dents refaites et traits globalement figés ; une transformation physique comme une volonté d’afficher une image de réussite, de jeunesse et de conformité aux standards esthétiques du cercle Trump).
Enfin, le meilleur pour la fin. Alors en campagne pour devenir la colistière de Donald Trump pour l’élection de novembre 2024, elle sort un livre où elle veut montrer qu’elle est à la fois dure au mal et une vraie rurale. Elle confesse donc qu’elle a tué un de ses chiots avec son arme à feu parce qu’il était trop agressif. Loin du résultat escompté, l’anecdote la fait passer pour une ennemie des animaux (pas bon dans ce pays) et plonger dans les sondages. Et surtout, ce récit la met définitivement hors course pour le ticket présidentiel.

Pas étonnant pour le Daily Mail (qui rappelle au passage son surnom, « ICE Barbie », la Barbie de la police douanière, dans un très bon jeu de mots entre ICE, l’agence du contrôle aux frontières, et le tube Ice Ice Baby, le tube du chanteur Vanilla Ice), qu’elle s’intéresse à cette idée pour le moins iconoclaste. Le journal révèle qu’elle aurait même passé des semaines à travailler avec des équipes télé sur la concrétisation de cette émission et sa vente auprès de plateformes comme Netflix. Elle aurait carrément proposé de mettre à disposition des agents des Services de la citoyenneté et de l’immigration des États-Unis (USCIS) pour comptabiliser les votes du concours télévisé.
Rétropédalage
Une polémique de plus pour elle. Depuis sa prise de fonction, l’ancienne gouverneure choisit une communication agressive et parfois très caricaturale. Il lui a été reproché, entre autres, de visiter une prison du Salvador avec une Rolex à 60 000$ et un maquillage très sophistiqué ; de demander de poser avec des armes régulièrement ; ou encore d’avoir diffusé en direct sur X (ex-Twitter) une opération de l’ICE à New York alors qu’elle était encore en cours, soulevant des questions de sécurité et de légalité.
La porte-parole du DHS a toutefois nié l’implication de sa patronne dans le processus. Face au tollé, Kristi Noem a dû elle-même expliqué devant une commission au Sénat que les infos de la presse étaient fausses :
« Ils ont sans doute soumis un projet parce que des projets comme ça sont souvent présentés à notre Département. Mais ni moi ni mon équipe n’avons eu connaissance de cette émission de télé-réalité. Il n’y pas de projet lié à ça »

Un rétropédalage ou un sauve-qui-peut pour Kristi Noem alors que l’administration tente de respecter ses objectifs en matière d’immigration et est empêtrée dans des batailles juridiques pour mettre fin au droit du sol, augmenter les objectifs d’expulsions de masse et réformer l’accès à l’asile. Il y a quelques jours, la Cour Suprême a par exemple interdit à l’administration Trump d’utiliser l’Alien Enemies Act de 1798 pour expulser des personnes soupçonnées d’appartenir à des gangs vers une prison au Salvador.
« Pas les Hunger Games »
Il faut dire que les ONG qui défendent les droits humains sont vent debout et que certains Démocrates ont été très virulents contre cette idée, à l’instar de Joaquin Castro, élu du Texas, qui parle d’une idée délirante :
« Sous cette Administration, il semble que nous perdions chaque jour un peu plus notre humanité. L’idée de faire concourir des gens dans une émission de télé-réalité pour acquérir la nationalité américaine est absolument dégoûtante. »
Jerry Nadler, Démocrate de New York, estime que « les vies humaines ne doivent pas servir de base à des jeux télé. » L’inventeur du concept, Rob Worsoff, continue pourtant à défendre sa création controversée :
« Je vous assure que mon but n’est pas de faire « The Hunger Games » (référence à ces livres devenus films qui racontent comment des adolescents se battent jusqu’à la mort, sous les caméras de télévision, afin de divertir les dirigeants d'un régime totalitaire). Je n’appartiens à aucun parti. En tant qu’immigré moi-même, je veux que nous ayons une discussion sur le sens d’être américain. Ce n’est pas une compétition malsaine qui cherche à expulser les perdants, c’est même tout l’inverse »
Cette émission verra-t-elle le jour ? Peut-être qu’il faut proposer le concept directement au Président Trump, lui qui a animé pendant 15 saisons et 194 épisodes The Apprentice, une émission de télé-réalité dans laquelle des candidats se battaient pour gagner un emploi dans la Trump Organization. Après avoir crié pendant des années « You’re fired » (« T’es viré ») aux candidats éliminés de son show, il serait peut-être ravi de dire aux perdants de ce nouveau jeu « You’re deported » (« T’es expulsé »).
Côté art
Y a de la Joy !
Avec Portrait, son troisième album, Samara Joy confirme qu’elle n’est plus simplement la promesse la plus éclatante du jazz vocal, mais une voix désormais installée. Enregistré dans le mythique studio Van Gelder et co-produit avec le trompettiste Brian Lynch, Portrait s’impose comme une œuvre à la fois raffinée, audacieuse et à fleur de peau.
Samara Joy n’a que 24 ans, mais elle chante déjà comme si elle portait un siècle de mémoire jazz sur les épaules. Sur cet album, elle poursuit son dialogue avec les grandes figures du genre — Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Betty Carter — sans jamais les imiter.
Son interprétation de Reincarnation of a Lovebird de Charles Mingus, enrichie de ses propres paroles, illustre cette capacité rare à insuffler une voix narrative dans l’abstraction instrumentale. Dès les premières secondes a cappella, Joy nous happe dans un monde où la virtuosité technique sert une expressivité désarmante.
L’album regorge de pépites où sa voix joue des contrastes : chaude et boisée sur Autumn Nocturne, aérienne et lumineuse sur Day By Day, affirmée et engagée dans Peace of Mind / Dreams Come True, une composition originale où l’on croit entendre l’héritage d’une Abbey Lincoln contemporaine.
Mais ce qui frappe surtout dans Portrait, c’est son sens du collectif. Samara Joy ne survole pas un orchestre en soliste ; elle s’inscrit au cœur d’un groupe, où les arrangements sophistiqués laissent à chacun l’espace de respirer. Le résultat est une œuvre d’ensemble, dense, vibrante, tout à la fois moderne.
Et un brin surannée. Sa jeune voix parvient à faire dialoguer érudition et invention, tradition et réinvention. Samara Joy chante le passé en regardant droit devant elle.
Votre dimanche avait déjà bien commencé avec la lecture de Côte à Côte, il va se poursuivre très tendrement avec la voix mature et douce de Samara Joy. Et ça, ça n’a pas de prix.